jeudi 17 avril 2014

"LE PARDON, CLEF DE LA GUERISON DU COEUR"


Cercles de pardon, rituels de pardon entre hommes et femmes, événements rassemblant les témoignages de pardon de victimes face à d’innommables drames. Un vent de pardon souffle sur notre époque, comme pour mettre fin à des cycles de rancœurs et de violence. Que recouvre ce terme ? Quelles sont les vertus du pardon, et comment s’y prendre ?

« Je te demande pardon, pour toutes mes incompréhensions, au nom de toutes les femmes ». « Je te demande pardon pour tous les abus, au nom de tous les hommes ». Nous sommes au cœur d’un rituel de pardon, en clôture d’un stage de tantra. L’événement n’est pas isolé, il semblerait que le pardon ait le vent en poupe ! En 2012, Olivier Clerc, écrivain essayiste d’origine suisse, lance les Cercles de Pardon, des ateliers/rituels inspirés d’un enseignement reçu de Don Miguel Ruiz, à Teotihuacan, au Mexique… 14 ans auparavant. Le succès de cette initiative est fulgurant. Il en existe aujourd’hui une vingtaine en France, Belgique et Suisse. En Angleterre aussi, le pardon est d’actualité. En 2003 naît The Forgiveness Project, sous l’égide de la journaliste Marina Cantacuzino, rassemblant de bouleversants témoignages de pardon de « victimes » face à d’innommables drames. Son objectif ? Explorer comment cette voie de réconciliation et de résolution des conflits impacte positivement la vie, mettant fin à des cycles de vengeance et de violence. Pourquoi cet engouement autour du pardon ? Que recouvre ce terme ? Comment s’y prendre ? Et peut-on tout pardonner ?


Le pardon, entre prière et quête de sens

Immanquablement, au terme de pardon est associée cette prière destinée au Très Haut, qu’enfants nous égrenions, très concentrés : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». « Ces images infantiles de demande de pardon sont fatalement empreintes d’un sentiment de culpabilité », expose la psychanalyste Nicole Fabre dans son livre Les paradoxes du pardon (Ed. Albin Michel). Au pardon font souvent écho également les mots de faute, de pêché, ou d’irréparable que nous aurions commis. Que ce soit pour avoir mangé toute la confiture, ou avoir espéré si fort que son camarade d’école tombe malade, et plus tard adulte pour avoir blessé par des mots, des actes ceux qu’on aime. Sans oublier les brisures et atrocités à travers le monde dont nous sommes devenus les témoins aujourd’hui, qui elles aussi appellent le pardon. Alors comment en cerner les contours ? Dans une préface à un ouvrage qui lui est dédié, Alain Héril, écrivain de formation psychanalytique, tente d’y apporter une réponse : « La notion de pardon oscille entre le religieux, le spirituel, le psychanalytique et le philosophique. Elle engage toutes les possibilités de compréhension à notre disposition pour trouver un sens à ce qui parfois n’en a que très peu. »


Les vertus du pardon

« Nous nous gâchons de nombreux moments de bonheur à cause de nos difficultés à pardonner », affirme Christophe André dans son dernier ouvrage, Et n’oublie pas d’être heureux ! (Ed. Odile Jacob) Le médecin psychiatre ne parle pas des pardons difficiles à accorder, mais plus simplement des micro pardons du quotidien : des paroles maladroites émises à notre encontre, des négligences… Pardonner ne signifie pas effacer ce qui a été fait, oublier, absoudre. Mais décider qu’on ne veut pas rester prisonnier du ressentiment, qu’on ne souhaite pas faire durer la peine. Le médecin est formel : « S’accrocher à l’offense, c’est s’accrocher à la souffrance ! »
Cette vertu du pardon prend toute sa dimension dans des situations plus tragiques. « J’ai décidé d’arrêter d’entretenir la souffrance conséquente à un viol », témoigne Françoise dans le documentaire « Pardonner », réalisé par Mireille Darc (16.10.2012 France 2). La réalisatrice part à la rencontre de personnes marquées par des épreuves difficiles, trahison amoureuse, erreur médicale ou judiciaire, viol… Quels ressorts si mystérieux peuvent animer ce besoin presque irrépressible de pardon face à ce qui semble irréparable ? « Lorsque nous sommes amenés à faire face à la douloureuse expérience de la trahison, de la douleur, du conflit ou de la perte, qui parfois peuvent même être ressentis comme insurmontables, nous cherchons le moyen de mettre un terme à la souffrance », répond Jack Kornfield, maître bouddhiste et docteur en psychologie (Une lueur dans l’obscurité, Ed Belfond). Si le premier pas consiste à nous protéger nous-mêmes, ce qui nous est nécessaire plus tard pour aller de l’avant, c’est le pardon ! « Le pardon a été ma seule chance de survie face au suicide de l’homme que j’aimais, emportant avec lui mes deux enfants dans l’incendie de notre maison », expose Meena Compagnon, psychothérapeute en Gestalt. Pour Olivier Clerc (Le Don du pardon, Ed Guy Trédaniel), « Il existe plusieurs approches pour arriver à cicatriser les blessures du cœur, le pardon en est sans aucun doute la voie royale ». D’après lui, blessures et traumatismes entament notre capacité d’aimer, la réduisent, et parfois même l’éteignent. « Le jour où nous parvenons à pardonner, l’amour renaît de ses cendres avec une intensité que nous ignorions auparavant », ajoute-t-il. Un point de vue que partage Marisa Ortolan, thérapeute en psychologie biodynamique, qui en observe les effets au sein des groupes de tantra : « le pardon est un rituel de catharsis, de purification profonde. Opérant un nettoyage en profondeur, il permet de cesser de projeter sur l’autre les blessures du passé, souvent de façon inconsciente, comme s’il en était responsable. » Les témoignages sont éloquents : « Accueillir les pardons des hommes m’a rendu ma dignité », confie Luce. « Pardonner m’a permis d'avancer sur un chemin de liberté », affirme Nathalie.


Se pardonner à soi-même !

« Vous ne pouvez pas parvenir au pardon en refoulant vos sentiments douloureux », prévient Jack Kornfield. Un écueil qu’évoque également la psychothérapeute Sylvie Tenenbaum, auteur de Pardonner : Tyrannie ou libération (Ed Interéditions), particulièrement en cas de maltraitance dans l’enfance : « La culpabilité est telle, que le pardon en thérapie est à manier avec précaution, sous peine d’en subir les effets pervers ». Certains patients éprouvent le besoin de parler à leurs parents, de leur expliquer combien ils ont souffert. « Ce partage peut être cathartique, à condition que les désespoirs d’enfant et la colère se soient atténués, suffisamment en tout cas pour que cesse ce chemin d’autodestruction », poursuit-elle. C’est pourquoi si pardon il y a, c’est le pardon à soi-même qui prime, dans le sens d’une réhabilitation. C’est seulement lorsque l’adulte s’est réhabilité à ses yeux, qu’il a accepté de ne pas avoir été suffisamment aimé enfant par un (ou les deux) parent(s) ou encore protégé d’un proche maltraitant, qu’alors il peut espérer ressentir des sentiments positifs à leur égard. Comme l’exprime si bien Jack Kornfield : « Ce qui nous est nécessaire pour aller de l’avant, c’est nous pardonner à nous-mêmes, aux autres, et aux évènements qui ont causé notre souffrance. » Le facteur temps est bien sûr à prendre en compte. Pardonner ne se décide pas, c’est plutôt comme si, à moment précis, cette option s’imposait. C’est seulement 13 ans après le meurtre de sa mère par son père, que Samantha (USA) pourra déposer sa haine : « Je n’ai pas pardonné son acte, mais les circonstances imparfaites qui l’ont poussé à commettre l’irréparable. » Cet homme n’avait pas supporté que sa femme le quitte !


La dimension collective et transpersonnelle du pardon


Au delà de notre histoire personnelle, certains pardons peuvent influer toute une collectivité, voire notre histoire, notre humanité… Ainsi, récemment, en mai 2013, il a été demandé à l’Etat guatémaltèque de demander pardon publiquement aux indiens mayas-ixiles, victimes de génocide en 1982/1983 (source AFP 14.05.2013). Ce simple pardon peut sembler bien futile face à l’ampleur du drame. Bien au contraire. « Sans le pardon, nous sommes prisonniers du passé, perpétuant et réitérant d’une génération à l’autre les souffrances que nous avons vécues », affirme Jack Kornfield, évoquant les conflits ancestraux opposant hutus et tutsis au Rwanda, palestiniens et israéliens. Par le rituel de pardon, des nations, des peuples, tout comme chacun d’entre nous, peuvent se libérer de ce cycle de souffrance et de châtiment, en refusant de le transmettre à ses enfants. Lors de pratiques de pardon en groupe, cette dimension collective et transpersonnelle est également présente. « Dans le rituel de pardon des hommes aux femmes, et inversement, le pardon est demandé au nom de toutes les générations pour les mémoires qui ont été perpétuées à travers eux », explique Marisa Ortolan. Comme en témoigne Marie, 52 ans, « J’ai ressenti une profonde réparation, à la fois dans ma lignée, mais aussi avec les hommes qui ont jalonné ma vie, à commencer par mon père. »


En pratique : les cercles de pardon !


La force des cercles de pardon provient d’un renversement, d’un changement de posture. « On demande pardon », pointe Olivier Clerc. D’où un paradoxe. Pourquoi demanderais-je pardon, alors que c’est moi qui ai été blessé ? Sa réponse s’appuie sur les principes de la voie toltèque. « Nous cessons d’attendre en victime que l’autre reconnaisse ses torts pour nous libérer, nous nous occupons de notre part de responsabilité, à savoir de nourrir nos sentiments de rancœur. » Ainsi nous ne donnons plus à l’autre ce pouvoir de nous maintenir dans la souffrance et la haine. Ça peut paraître difficile à comprendre intellectuellement, bien sûr, pourtant l’effet produit est bien réel, « comme un relâchement, un lâcher-prise, une libération », témoigne Jean Christophe, 37 ans, un participant. Le travail est intérieur ; une fois de retour chez soi, Olivier Clerc recommande de répéter ce rituel, « comme une méditation intérieure, pour continuer à décristalliser en nous certaines émotions négatives. »


http://www.inrees.com/articles/Le-pardon-cle-de-la-guerison-du-coeur/


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