mercredi 29 octobre 2008

"CARL GUSTAV JUNG, PIONNIER DE LA PSY SPIRITUELLE"


Si une psychologie à tendance spiritualiste peut commencer, en cette fin de vingtième siècle, à avoir droit de cité et à offrir une alternative aux psychologies matérialistes, c’est indéniablement grâce au travail d’un pionnier incontesté : Carl Gustav Jung.

Par Jean-Claude Cartier

Une analyse de la Tradition

Alors que la psychologie occidentale conventionnelle peut bien souvent à juste titre être taxée d’ethnocentrisme, Jung puisa pour sa part sans aucune discrimination ethnique dans le fonds richissime d’une tradition universelle transparaissant comme en filigrane dans toutes les religions du monde, tronc commun à toutes les formes de recherche de la sagesse auquel Huxley devait plus tard donner le nom de philosophia perennis. C’est sur la base de cette tradition, et notamment de ses doctrines orientales, tellement plus explicites, que Jung développa une vision à peu près universelle de la psyché humaine, et créa un système psycho-analytique tenant compte d’un bien plus grand nombre de niveaux de conscience et de conditionnements culturels que la psychologie freudienne.

En faisant toutefois un distinguo très net entre les fonds culturels - et partant, les mentalités - des Orientaux et des Occidentaux, Jung ne trouvait en effet que des similitudes dans les profondeurs. “On ne peut que constater, écrivait-il en 1950, qu’il doit nécessairement exister une disposition qui reste inconsciente pour l’individu et dont l’extension est pour ainsi dire universelle, une disposition donc qui peut en tout temps et en tout lieu produire en principe les mêmes symboles.”

Bien sûr, pour Jung, il était plutôt question d’étudier les mythes et doctrines ésotériques du monde pour en dégager des archétypes et élaborer le concept d’inconscient collectif, que de réaliser effectivement l’Absolu à l’instar des maîtres spirituels orientaux. Si Jung avait été le disciple d’un tel maître réalisé, celui-ci l’aurait progressivement initié au sens non duel et non mental auquel tend le message de la tradition ; mais il s’est évidemment cantonné à une interprétation, certes scientifique, mais relative, de ce message.

C’est sans doute la raison pour laquelle Jung intéresse très nettement plus les psy que les spi, et que, même aux yeux de nombreux théologiens ou ésotéristes, son message ne parvient jamais à être tout à fait orthodoxe, pêchant ici par manque d’information, ou là par simplifications abusives.

Cela dit, il faut bien se rendre compte que ce qu’il perd au plan des détails, il le gagne dans la synthèse qui, finalement, est seule importante au regard du travail de pionnier de la psychologie transpersonnelle qui fut le sien.

La rupture

Né en Suisse, près de Zürich, en 1875, Carl Gustav Jung, fils de pasteur, fit tout d’abord des études de médecine à Bâle, puis devint l’assistant de Bleuler, pour être enfin médecin-chef de la clinique psychiatrique de l’université.

Mais c’est bien entendu sa rencontre, en 1907, avec Freud dont il deviendra le “disciple bien aimé”, que retiendra l’histoire, et surtout, quelques années plus tard, sa rupture avec le fondateur de la psychanalyse, pour ne pas dire sa trahison lorsque, rebuté par le matérialisme freudien, il créa une nouvelle école de psychologie analytique visant précisément à intégrer toutes ces notions spirituelles que Freud rejetait avec tant de conviction.

Ce que Jung reprochait essentiellement au freudisme, c’était évidemment cette limitation de l’énergie psychique à la seule impulsion sexuelle.

Mais, au-delà de ce grief fondamental, la perspective junguienne du psychisme, et notamment de sa partie inconsciente, dépassait très largement le cadre freudien de la personnalité et de sa biographie pour s’ouvrir sur des archétypes appartenant à l’ensemble de l’humanité, des modèles collectifs que Jung retrouvait dans l’alchimie, le Yi King ou dans n’importe quelle doctrine ésotérique ou mythologie du monde.

Quant à la spiritualité proprement dite, Jung la concevait comme une fonction naturelle de la psyché, fonction essentielle dont il était par conséquent extrêmement dangereux de ne pas tenir compte.

En fait, pour lui, cette fonction spirituelle n’avait d’autre but que de conscientiser l’archétype fondamental : le soi. Et lorsqu’il utilise le mandala, c’est pour mieux objectiver l’omniprésence de ce soi, à la fois au centre et dans n’importe quel point de la circonférence. Le soi junguien, calqué sur la notion hindouiste de l’atman, correspond donc bien à la totalité de l’homme ; et l’objectif de la psychologie analytique de Jung consiste, en conséquence, à réaliser une individuation de la personne, c’est-à-dire à la conduire au deuil de l’ego divisé, et à l’unifier intérieurement et extérieurement.

Si dans les faits de la pratique thérapeutique quotidienne un tel objectif est naturellement demeuré au niveau du vœu pieux, dans les termes, on était déjà en phase avec la spiritualité orientale.

La voie du transpersonnel était, en tous cas, ouverte !

Le Soi

C’est certainement l’emprunt de cette notion du soi à la philosophie indienne, qui va le plus profondément révolutionner la psychologie occidentale.

Pour les Indiens, et plus particulièrement les védantistes, le soi est l’identité ultime, à moins que l’on ne préfère dire qu’Il est l’absence d’identité de la conscience. Ce soi impersonnel est notre réalité la plus intime, notre conscience à l’état pur. Et le moi - en fait le faux moi - n’est qu’un reflet déformé et trompeur de notre vraie nature.

Sans intégrer toutes les implications métaphysiques de cette doctrine, Jung récupère néanmoins de quoi réorienter toute l’étiologie des psychopathologies, puisqu’il considère que la maladie psychique est le résultat du refus du moi de se subordonner à la totalité du soi. On retrouve ici cette notion, certes universelle mais si caractéristique du christianisme, de la rébellion de la créature contre son créateur, qui constituera, plus tard, un des concepts clés de la psychanalyse intégrale de Norberto Keppe. Toujours est-il que, depuis 1930, c’est toute l’œuvre de Jung qui sera construite autour de ce rapport conflictuel entre le moi et le soi, même s’il y ajoute, pour mieux se faire comprendre, le langage symbolique issu des mythologies traditionnelles.

Le soi junguien est centre, totalité et finalité de la vie du psychisme humain. Comme dans le mandala, le soi est un centre à la fois vacuum - vide de toute forme - et soleil d’où émane l’énergie que les archétypes vont modeler. Mais il est aussi ce qui contient le conscient et l’inconscient.

En tant que centre, Jung voit le soi comme un ventre maternel, une matrice d’où peuvent naître, bien sûr, toutes sortes de possibilités psychiques et psychothérapeutiques, mais aussi l’enfant divin, l’homme nouveau. Ainsi, le retour sur ce soi-même qu’est le soi est plus proche d’une conversion et d’une seconde naissance, telles que les décrivent les traditions spirituelles, que d’une régression ou d’une anamnèse, propre à la psychanalyse.

D’ailleurs, dans la psychologie junguienne comme dans de nombreuses mythologies, le soi va être symbolisé par le paradis, l’or alchimique, le joyau, le trésor caché… Et lorsque le sujet rêvera de ces symboles, il démontrera par là-même son aspiration vers le soi, son besoin de cheminer vers le plus profond de lui-même, et par conséquent d’entrer dans un processus d’individuation, d’unification.

Ces rêves, comme la création artistique ou la vie spirituelle, traduisent, selon Jung, l’état d’un organisme psychique servant de régulateur entre le moi et le soi : l’âme. Que cette âme produise du symbole métaphysique, et c’est le signe d’une grande régulation entre le moi et le soi ; mais qu’elle produise de la maladie mentale, et c’est le signe évident d’une grande dérégulation.

Une époque très orientalisante

L’orientalisation de Jung ne se borna toutefois pas à reprendre la notion du soi. Dans le temps même où Gandhi soulevait le peuple indien contre l’occupant anglais, Jung assurait ses amis hindous de son soutien et prêchait le rapprochement de l’Occident et de l’Orient. “Que s’est-il passé lorsque Rome a subjugué politiquement le Proche-Orient ?”, s’indignait-il à l’occasion d’une cérémonie en l’honneur du sinologue Richard Wilhelm. “L’esprit de l’Orient est entré dans Rome ! Serait-il impensable qu’il se produise aujourd’hui quelque chose de semblable ?”

Et il est vrai qu’historiquement l’arrivée en Occident des gourous, et la vogue des psychothérapies et de la psychanalyse furent complètement contemporaines. Jusqu’alors, seules la religion chrétienne et la philosophie occidentale étaient chargées de prodiguer des conseils touchant à la vie intérieure. Soudain, psy et yogis imposaient des doctrines extrêmement dépaysantes et frappantes pour l’opinion publique qui ne manqua naturellement pas d’associer ces deux approches. Certains psy, eux-mêmes, se penchèrent sur les textes védiques et sur le Yoga ; pendant que des yogis, comme Swami Prajnanpad, s’intéressèrent vivement à la psychologie occidentale.

Ainsi, déjà bien avant que Jung ne se préoccupe d’orientalisme, le rapprochement spi-psy était entamé, notamment dans The Yoga system and psychoanalysis, de F.-I. Winter, où l’auteur établissait clairement un parallèle entre les Yoga Sutras de Patanjali et la psychanalyse.

Le comte Hermann Keyserling, lui aussi, était un chantre du rapprochement entre le yoga et la psychanalyse, écrivant dans son Journal de voyage d’un philosophe : “Plus nous allons, plus nos façons de voir se rapprochent de celles des hindous. Pas à pas, la recherche psychologique confirme les affirmations de la science de l’âme de l’Inde antique."

Nul doute que ces points de vue n’aient largement contribué à l’orientalisation de la pensée de Jung ; mais c’est en définitive sa rencontre, dans les années 20, avec Richard Wilhelm qui fut décisive en la matière. Leur collaboration sur Le Mystère de la fleur d’or, un texte alchimique chinois classique, constitua pour Jung son tout premier travail de psychologie comparée entre Orient et Occident, à la suite duquel il se passionna non seulement pour le taoïsme et le Zen, mais aussi pour l’hindouisme, rencontrant les personnalités les plus éminentes de la pensée orientale de l’époque, comme Wilhelm Hauer, Heinrich Zimmer, Walter Evans-Wentz et Daisetz Suzuki…

De la Chine à l’Inde

Bien que d’aucuns pourront trouver des similitudes extrêmes entre certaines doctrines chinoises et indiennes, comme par exemple entre le Tch’an et le Vedanta, pour Jung, la Chine et l’Inde devaient jouer deux rôles essentiellement différents dans la structuration de sa psychologie.

En deux mots, il doit à l’Inde la notion de soi, et à la Chine celle de synchronicité.

Plus précisément, Jung était positivement fasciné par la culture spirituelle indienne, et notamment par le védisme qu’il avait sans doute plus approfondi que le vedanta. Les comparaisons auxquelles il se livrait entre la connaissance qu’avait l’Européen moyen de l’univers intérieur, et ce que le yoga et les rites hindouistes apportaient en matière de science de l’âme aux Indiens, ne pouvaient évidemment que plaider en faveur de l’Inde. Ce pays lui apparaissait indéniablement comme le plus avancé qui soit au monde en matière d’analyse de la psyché et d’utilisation de la fonction transcendante du symbole ; et c’est pour cette raison qu’il consacra de si nombreux articles au yoga et au tantrisme, à une époque où les Occidentaux ne voyaient dans ces disciplines que des techniques de fakirs.

La Chine, quant à elle, devait lui apporter un dépaysement culturel radical qui favorisa grandement sa découverte du psychisme humain. Ce qu’il retint surtout de la philosophie chinoise fut “le caractère paradoxal et la polarité des êtres vivants."

C’est avant tout dans le Yi King qu’il trouve cette science de la complémentarité, et plus exactement dans ces descriptions “du yang atteignant sa force la plus grande pendant que le yin croît à l’intérieur de lui”. Ce jeu des polarités ne peut qu’inspirer à Jung un modèle psychologique d’une grande souplesse grâce auquel pourront enfin s’expliquer ces cas de patients dont l’inconscient (yin) réagit soudain par une crise névrotique inattendue au moment même où le conscient (yang) est au plus haut de sa forme et en pleine possession de ses moyens.

Mais, comme on le sait, le Yi King, c’est aussi le livre des mutations. Et Jung, passionné par cette figuration chinoise des évolutions, y puisa un concept clé de sa psychologie : le “dépassement” des conflits intérieurs. Pour lui, en effet, les problèmes psychologiques graves restent insolubles, dans la mesure où ce n’est évidemment pas le moi limité et fractionné qui saurait jamais les résoudre. En revanche, ils peuvent être dépassés, puisque ce moi semble tout de même capable d’accepter de laisser agir le soi en lui. Et c’est ici toute la sagesse, chinoise et universelle, du wou-wei, du non-agir, que Jung veut réactualiser. “Dans le domaine psychique, il faut pouvoir laisser advenir”, affirme-t-il, ouvrant ainsi la voie à la notion d’autoguérison psychique qui sera par la suite si chère à Grof.

Enfin, le Yi King, par son mode opératoire même, lui révèle l’existence d’un phénomène qui restera essentiel dans la vision junguienne : la synchronicité. Tout le monde connaît l’anecdote du scarabée heurtant la vitre du cabinet de Jung au moment même où sa patiente lui confiait qu’elle avait rêvé d’un scarabée d’or, symbole de renaissance. Cette émergence brutale de l’irrationnel frappa Jung qui y vit une coïncidence signifiante qu’il nomma synchronicité.

Or, le Yi King est un outil de divination utilisant des tiges, ou à défaut des pièces de monnaie, qui, selon la façon dont elles sont tirées, indiquent une succession d’hexagrammes censés représenter la situation actuelle et à venir du tireur. Bref, là aussi, il y a synchronicité.

C’est ainsi, qu’armé de ce modèle exceptionnel qu’il voyait dans le Yi King, Jung va bâtir son hypothèse de la synchronicité, annonçant par là-même le paradigme holistique à venir.

Jean-Claude Cartier

http://www.buddhaline.net

mardi 30 septembre 2008

"LA VIE: ENERGIES ET VIBRATIONS"


" Les chakras génèrent l’énergie essentielle à l’homme , physique , mental et spirituel "

"Les découvertes scientifiques les plus récentes confirment l’existence des chakras. Tout est vibration dans l’univers, et l’homme peut travailler sur ces centres d’énergie que sont les chakras. Joan P. Miller nous parle des quatre grandes lois de fonctionnement de l’énergie universelle.

Pour mieux comprendre l’énergie, il faut aller du côté de la physique moderne. Cela peut sembler rébarbatif, mais c’est un fait incontournable car la science nous démontre que les connaissances anciennes avaient intuitivement un savoir que nous découvrons depuis peu sur le plan scientifique.

Nous savons tous que du plus petit caillou à la planète entière, en passant par les plantes, les mers, les volcans, les animaux et, bien sûr, les êtres humains, tout l’univers est constitué d’atomes. Ceux-ci exécutent sans cesse, autour du noyau de l’atome, des trajectoires fermées semblables à celles des orbites qu’exécutent les planètes autour du soleil. En fait, chaque atome est un mini-système solaire et chaque être humain a des centaines de milliards d’atomes. De plus, parce qu’ils sont toujours en mouvement, les électrons vibrent à des taux variables selon leur vitesse et produisent ainsi un champ électromagnétique qui représente une force qu’on appelle «énergie». L’énergie est invisible, inodore, incolore, impalpable et, pourtant, elle est la force de laquelle l’univers est issu, dont il est composé. On peut affirmer que l’énergie, c’est la vie.

L’énergie produit toutes les matérialisations, qu’il s’agisse des forêts, du sable, des plantes, des animaux, des hommes, bref, tout ce qui est matériel. Elle est responsable des forces telles que le vent, la foudre, les saisons, les éruptions volcaniques, les marées.

Il s’agit là du premier grand principe : tout vibre dans l’univers. Cependant, tout ne vibre pas à la même vitesse. Certaines choses vibrent à de très basses fréquences, les rendant facilement perceptibles au commun des mortels, alors que d’autres ont un taux vibratoire plus élevé et ne sont perçues que par quelques personnes. D’autres encore dépassent la perception des sens de l’humain le plus développé qui puisse être.

Comme tout l’univers est une vibration, l’être humain, bien entendu, ne fait pas exception à la règle. Nous parlerons donc plus particulièrement ici de la vibration des émotions: les nôtres, celles des autres, l’interaction entre les émotions et les effets, bons ou mauvais, qu’elles peuvent avoir sur l’organisme.

Les chakras sont au corps ce que la batterie est à la voiture. Ils génèrent toute l’énergie essentielle à l’homme pour assurer son existence physique, mentale et spirituelle et la survivance de son âme dans l’au-delà. Du niveau le plus élémentaire, celui du réflexe et de la survie, jusqu’au niveau le plus élevé, celui de l’illumination et de la transfiguration, l’homme possède sept centres vitaux qui rendent possible une vie harmonieuse et équilibrée; tout cela est une question de vibrations.

C’est la qualité des vibrations émises par l’être humain qui permet l’harmonie et l’équilibre. Nous irons plus loin en affirmant que la qualité de nos vibrations passe par un contrôle de nos émotions. Cela ne veut pas dire que nous devions chercher à les supprimer ou à les réprimer ; au contraire, nous devons apprendre à les connaître ainsi qu’à reconnaître les effets qu’elles ont sur notre santé morale et physique. Par exemple, si nous nous laissons envahir par la peur, la haine ou la colère, nous émettrons des vibrations négatives qui pourront provoquer des perturbations et du désordre dans un ou plusieurs chakras. Ces désordres sur le plan de l’énergie engendrent à leur tour des malaises, voire des maladies. Si, par contre, nous émettons des vibrations de joie, de bonheur et de plaisir, nous favoriserons le bon fonctionnement de l’ensemble de notre corps, tant sur le plan physique que moral, et nous permettrons à l’énergie de circuler librement en nous afin de nous nourrir et de nous fortifier.

C’est ce qui nous amène au second principe qui régit l’énergie : non seulement l’énergie vibre, mais, pour être efficace, elle doit aussi circuler.

Circuler veut dire bouger ; cela implique donc du mouvement, aussi infime soit-il. Il faut comprendre que tout ce qui est immobile finit par devenir stagnant, et tout ce qui stagne se corrompt et se défait. Voici un exemple. Nous savons tous qu’au nom du progrès et du modernisme, il nous est arrivé de saccager et de détruire des habitats naturels qui avaient précédé l’humanité. Prenons le cas d’une rivière au cœur d’une forêt. Dans son état naturel, elle invitait les personnes à s’y arrêter, à s’y baigner et, souvent, à s’y désaltérer. L’eau suivait son cours, circulant entre les pierres, les polissant au passage, se frayant un chemin plus loin. Tout le long de son passage, elle entretenait la vie tant animale que végétale et on pouvait aussi y voir quelques habitations sur les rives. Puis sont arrivés le progrès et la modernisation, exigeant une autoroute.

Une fois les travaux terminés, les travailleurs ont quitté les lieux, laissant derrière eux un paysage dévasté. Le saccage effectué par les machines dans le sol et le sous sol a brisé l’équilibre naturel, engendré des obstacles et des barrages et transformé la rivière en une mare nauséabonde. Pourquoi? Parce que l’eau n’y circulait plus. Pour se renouveler, l’eau, tout comme l’énergie, a besoin de circuler. Et pour circuler, il est essentiel qu’elle soit perpétuellement en état de léger déséquilibre, sans quoi elle deviendra vite stagnante.

Si nous reprenons cette analogie, la rivière symbolise le corps de l’homme et l’eau, son énergie; les bulldozers et les travaux de construction expriment le stress, la tension, les émotions négatives qui empêchent la libre circulation de l’énergie. Si nous allons plus loin, nous pouvons percevoir que l’autoroute incarne la croyance qu’il faut toujours aller plus loin plus vite, même au détriment de l’équilibre naturel. La transformation de la rivière en marécage exprime clairement l’idée que tout ce qui est immobile se putréfie.

Bien sûr, il y a de nombreuses façons de bouger, mais toutes impliquent un déplacement vers l’avant ou l’arrière, la gauche ou la droite, le haut ou le bas, l’extérieur ou l’intérieur. L’important, c’est de toujours exercer un mouvement engendré par des pensées positives; toute pensée, toute parole, toute émotion ou tout acte négatif peut engendrer un blocage tout aussi néfaste que l’inertie. Ceci nous amène au troisième principe régissant l’énergie : l’effet boomerang.

Nous sommes tous familiarisés avec le boomerang, cet objet d’origine australienne qui est en fait une arme de jet, faite d’une lame étroite de bois et capable de revenir à son point de départ. L’énergie agit de la même manière ; l’allusion la plus célèbre est sans doute celle qui dit que nous récoltons ce que nous semons. C’est le principe même de l’action et de la réaction.

Nous sommes tous à la fois émetteur et récepteur. Chacun de nos actes ou encore chacune de nos paroles, de nos pensées et de nos émotions engendre des vibrations qui ressemblent aux ondes provoquées par un caillou lancé dans l’eau : des vagues. Dès que nous lançons ces cailloux, ils circulent dans l’atmosphère et rejoignent d’autres vagues, faites par d’autres personnes. Le choc qui en résulte est parfois heureux, parfois catastrophique ; mais, invariablement, la vague revient toujours à son point de départ. L’émetteur reçoit le contrecoup de ce qu’il a projeté.

De même, si la pensée émise dans l’atmosphère en est une de haine, son émetteur «récoltera» tôt ou tard (le processus peut prendre des années, et ceux qui croient en la réincarnation affirment même qu’il peut prendre plusieurs vies) ce qu’il a semé, c’est-à-dire de la haine. A ce sujet, il est important que chacun prenne conscience du fait que les vibrations sont des entités en soi et que la pensée de haine émise à l’égard de Monsieur X pourra être restituée par Madame Y. Le phénomène agit de la même façon en ce qui concerne toutes les émotions et toutes les actions, bonnes ou mauvaises.

Nous oublions souvent que les émotions et les pensées ont la même qualité énergétique que les actions. La raison en est simple : nous voyons et percevons les actions avec nos sens, mais nous avons de la difficulté à concevoir que quelque chose d’intangible (comme une émotion) ait la même valeur, la même influence. Il ne faut pas oublier que l’énergie est aussi intangible, mais que la force d’une émotion puissante peut produire autant d’énergie qu’un geste physique.

Il est aussi important de noter que la «récolte» est toujours supérieure à la «semence». Pensons seulement à la quantité de légumes récoltés pour une toute petite graine semée ! Les effets d’une semence produits par une action, une émotion ou une pensée, positive ou négative, se multiplient sous l’effet du choc en retour. Voilà qui est très près de la notion du karma, qui veut que la qualité ou la médiocrité des expériences de la vie présente de l’individu soit la conséquence de ses actes et de ses pensées, posés et entretenus dans une vie antérieure. Tous les mots et gestes d’une personne ont des conséquences ; la loi du boomerang est d’ailleurs là pour voir à ce qu’elle assume ses responsabilités, tant pour le bien que pour le mal qu’elle a commis. C’est une loi incontournable et elle est la même pour tous.

Sachant cela, pourquoi ne pas ensemencer dès aujourd’hui notre terroir de ce que nous aimerions cueillir demain ?

Le principe de l’écho, aussi appelé la loi de la résonance, est le quatrième principe de la circulation d’énergie. Selon cette loi, l’énergie d’un certain type, qui comporte des particularités et qui émet des vibrations d’une qualité donnée, attire immanquablement une énergie de même type, qui a la même qualité de vibrations. Plus simplement, disons que chacun de nous attire ce qu’il dégage. Mais attention, cet énoncé est valable tant pour les bons que pour les mauvais sentiments.

Pour vérifier le phénomène de la résonance, posons une guitare sur une chaise ou une table et mettons-nous à chanter ; à un certain moment, la guitare va émettre des sons, des vibrations. L’explication en est fort simple: certaines des notes que nous chantons sont forcément sur la même fréquence que celle des notes des cordes de la guitare. Puisqu’elles sont exactement sur la même fréquence vibratoire, les cordes vibreront d’elles-mêmes et donneront des sons. Elles répondront à notre message vibratoire. La guitare et nous résonnerons de la même manière.

Un autre exemple est celui du diapason, une lame vibrante en forme de «U» qui produit une note dont la fréquence sert de référence aux musiciens. Ils peuvent ainsi accorder leurs instruments et être tous en harmonie. Si nous faisons tinter un diapason, par exemple un la d’une fréquence de 440 hertz, et que, tout à côté, soit posé un second diapason de la même fréquence, il se mettra lui aussi à vibrer par le seul effet du premier. C’est une autre illustration du phénomène de la résonance ; cela s’appelle «se mettre en syntonie».

Se mettre en syntonie veut simplement dire être sur la même longueur d’onde que quelqu’un d’autre. Quand tout va bien, c’est merveilleux ; mais ça l’est beaucoup moins quand les ondes dégagées sont des ondes de désespoir, de destruction ou de maladie. Lorsque nous sommes malades, que nous ressentons un malaise, que nous sommes déprimés, nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde que l’univers et nous devons nous mettre en syntonie afin de vous rétablir.

En fait, toutes les thérapies qui visent le rétablissement de la santé physique ou mentale travaillent à harmoniser les vibrations du corps pour qu’il soit en mesure d’abord de résonner à la même fréquence que celle du monde environnant, puis de se mettre en syntonie, peu à peu, avec le monde spirituel, le divin. Le phénomène de résonance ne tient nullement compte des bonnes intentions ou de ce qui peut paraître juste ou injuste; il ne tient compte que de la qualité vibratoire."

Joan P. Miller (Editions Québécor)

jeudi 25 septembre 2008

"DUALITE ET NON DUALITE"


La quasi-totalité des concepts dont se sert le mental fonctionnent dans la dualité. Il n’existe pas d’ordre d’expérience humaine dans lequel la représentation n’est pas pensée en terme de concepts duels : capitalisme/communisme, fait/droit, bien/mal, vertu/vice, dieu/diable, vrai/faux, beau/laid, théorie/pratique, chaud/froid, joie/tristesse, force/faiblesse, absolu/relatif, transcendant/immanent, abstrait/concret, idéal/réel, objectif/subjectif etc. Le caractère un peu trop trop systématique et formel de ce type d’opposition finit par éveiller la méfiance. La question qui se pose est alors de savoir si la dualité n’est pas le propre des constructions mentales taillées par l’intellect. N’est-elle pas aussi une source constante de faux problèmes ? La dualité n’est-elle pas sur le fond fictive ? Sans véritable portée ontologique ? Si c’était le cas, l’accès à l’ontologie devrait être nécessairement non-duel, nous obligeant par là à transcender la dualité du mental ordinaire.

Pourtant, toutes les dualités ne viennent pas nécessairement des constructions de la pensée. Ce n’est pas la pensée qui fabrique la dualité droite/gauche dans la symétrie du corps, mâle/femelle chez les animaux, homme/femme, pôle +/pôle – sur la pile électrique, etc. On pourrait dénombre un certain nombre de dualités qui existent dans la nature antérieurement à toute pensée humaine. Auquel cas la pensée duelle ne serait pas une fiction et aurait aussi une portée ontologique. La dualité étant déjà à l’œuvre dans la Nature, nous serions parfaitement fondé à la simuler dans la représentation sous la forme de concepts duels.

La pensée indienne a très tôt pris conscience du caractère fictif de la dualité, parmi les six darshana classiques, le système philosophique le plus métaphysique, le Vedânta est aussi nommé advaita, non-dualité . La question est très complexe et, depuis Parménide,  elle ne cesse de resurgir dans la pensée occidentale. Dans l’histoire de la philosophie occidentale, il y a eu au moins un système qui s’est évertué à introduire une logique non-duelle, celui de Hegel. Hegel tente de montrer que la contradiction est à l’œuvre dans les choses, sa dialectique thèse-antithèse-synthèse entend surmonter les antinomies formulées par Kant dans La Critique de la raison pure. Cependant, le caractère très systématique, fictif et formel de la dialectique hégélienne finit aussi par éveiller la méfiance.

 La logique contemporaine bute sur cette même difficulté. Elle a commencé l’autocritique critique de la pensée duelle. C’est tout naturellement en logique que les tentatives se sont portées. Tout récemment, Stéphane Lupasco a pu développer un programme pour introduire le dépassement de la logique de la dualité, à travers de la refonte du tiers exclus en tiers inclus. Et cette refonte ne se ramène pas du tout à la dialectique de Hegel.
Quel statut devons-nous reconnaître à la dualité ? La dualité est-elle dans la nature des choses ou est-elle seulement dans la représentation de la nature des choses ? Comment discerner une dualité fictive, qui n’est que l’ombre engendrée par les complications de l’intellect, d’une dualité réelle, présente dans le réel ?


A. Dualité, conflit et contradiction

ll n’est pas nécessaire de donner d’emblée de la dualité une interprétation métaphysique. Il est plus facile d’en percevoir clairement la manifestation sur le plan psychologique et ses conséquences concrètes dans le monde pratique. S’il est un vécu qui nous est très familier et qui a un rapport étroit avec la dualité, c’est bien l’état de contradiction dans lequel nous abordons la vie.


 

1) J’aime/je n’aime pas, je désire/je déteste, je veux/je ne veux pas etc. sont des mouvement qui dépendent de jugements qui, une fois prononcés, nous précipitent dans les contrariétés, les contrastes, les déchirements, les sautes d’humeur et les drames de la vie ordinaire. La plupart du temps, nous n’en avons guère conscience. Nous prenons la contradiction au niveau le plus tardif de sa manifestation, sans voir sa pensée racine. Nous avons appris à nous résigner par avance à penser que  « la vie est une lutte ». Vivre dans des contradictions semble « normal ». Ce n’est que lorsque cela commence à être très douloureux que nous nous en soucions vraiment.

Il suffit d’ouvrir les yeux. Quelques mots, tirés de Krishnamurti dans De la Connaissance de soi à ce sujet : « Notre existence quotidienne est une série de contradictions. Nous parlons de paix, nous essayons de vivre en paix, mais nous préparons la guerre ; nous parlons de liberté, mais l’enrégimentement a lieu de tous temps. Il y a la pauvreté et des richesses, du mal et du bien, de la violence et de la non-violence. Notre vie entière est une série de contradictions. Nous voulons être heureux et nous faisons tout pour engendrer le malheur  ».

Mais pourquoi ? Est-ce l’incurable sottise du genre humain qui est responsable de cet état de fait ? Ce soit-disant « fait » ne tombe pas du ciel, tout cuit et préparé. Il est constitué de l’intérieur par le sujet. La dualité est notre propre fait. Le fait de la pensée. Elle ne va nullement de soi.
La première approche consiste donc à examiner cette étrangeté de nos vies en tant qu’elles sont régies par la dualité. Je veux/je ne veux pas, vécu en même temps. Sur le même plan. Sous le même rapport. Donc je tire/je pousse en même temps, et…  je m’étonne de ne pas avancer, d’être mécontent, frustré et insatisfait. Je me mets dans une ambivalence et je me place délibérément dans un état de conflit et je ne vois pas l’immobilisme où je me suis placé. La Vie n’est pas statique, mais intensément dynamique. Si je pouvais couler avec le mouvement vivant de la Manifestation, sans introduire la friction d’une opposition contradictoire, ma vie serait elle-même portée par le mouvement. Je n’aurais pas le sentiment qu’elle est une lutte. Mais ce n’est pas mon expérience habituelle. Ce n’est pas du tout le lot de l’expérience ordinaire. 

Dès l’entrée dans la vigilance quotidienne, je perçois le monde et l’expérience, comme celui d’objets qui d’emblée sont séparés de moi, et s’opposent à moi. Il y a moi et ces choses que je dois affronter, moi et ces résistances que je dois vaincre, moi, dans l’affrontement continuel de ma volonté et des événements. Il y a moi et les autres, il y a moi et le tourbillon des événements du monde. Je vis harcelé par cette « réalité » dans laquelle je suis « tombé » et je me débats contre elle pour essayer de devenir quelqu’un. La traction de toujours devoir être ce que je ne suis pas encore me précipite dans le temps psychologique. J’attends tout de demain, j’espère que le futur pourra me combler, je crains qu’il ne soit fait que d’épreuves et d’échecs. J’ai peur de rater ma vie en n’atteignant pas les buts que je me suis fixé. Je rumine le scepticisme et l’amertume quand l’idéal n’est jamais au rendez-vous et que la vie n’est jamais à la hauteur de ce que je voudrais qu’elle soit. Et par-dessus le marché, cette conscience qui dit « moi », « moi », ne cesse de proclamer  sa sédition à l’égard de tout le reste, pour étendre son empire sur ce qu’elle voit immédiatement comme un non-moi.

En résumé, dans le conflit intérieur il y a : a) La conscience d’une séparation entre moi et le monde est une dualité. b) L’opposition entre moi, en souci de devenir, et ce qui est, entre le devoir-être et l’être est une dualité. c) L’élément commun dans lequel la dualité prend naissance, c’est le sujet moi. Que tombe le sentiment de séparation entre moi et le monde et la dualité vole en éclat. Que prenne fin la projection du souci de devenir, et la dualité perd son fondement. Plus mystérieusement : que disparaisse le sens de l’ego, et la dualité n’a plus rien qui puisse l’alimenter.
 

La situation de conflit interne je veux/je ne veux pas, suppose nécessairement un choix, mais c’est un choix très particulier qui alimente la pensée duelle. Un choix qui exclut son contraire. Je veux le plaisir, sans la douleur. Je veux la joie, mais pas la tristesse. Je veux l’ordre, mais pas le désordre. Je veux la paix, mais pas le conflit. Je veux la liberté, mais pas la servitude. Je veux de la chance, sans la malchance. Je veux le bien sans le mal. Je veux de l’amour-passion, sans la haine passionnelle etc.

Et c’est là que la question devient très subtile. La Vie, dans son processus vivant, dans son expansion dynamique est une et sans division. La pensée duelle introduit la division et implémente cette idée fausse selon laquelle nous ne devrions avoir que le positif, sans le négatif ; alors précisément que ce qui est, c’est l’unité vivante qui les englobe tous les deux. Si bien que la contradiction  ne se fait pas attendre. Le seul fait de rechercher d’avantage de plaisir invite aussi l’expérience de plus de douleur. En cherchant une joie sans tristesse, inévitablement j’invite la tension des hauts et des bas, du sommet de la vague et de son creux, de la joie et de l’abattement. L’ordre sans désordre devient autoritaire et obsessionnel, le désordre revenant comme confusion mentale. La paix imposée de force, sans la capacité de comprendre le conflit, réassure et perpétue le conflit. Le culte de la bonne fortune me met à la merci du destin et me prive des bénédictions que la vie m’apporte. Le rigorisme moral du bien que l’on veut « purifier » de tout mal, si on le laissait faire, nettoierait très vite la planète de tout ce qui est vivant. On a fait au sujet de Beethoven et de Vivekananda une remarque identique : la puissance de personnalité colossale de l’un, comme de l’autre, aurait pu en faire des tyrans d’une extraordinaire cruauté. Et bien non, cette puissance s’est donnée à elle-même dans la musique chez Beethoven. Vivekananda est devenu disciple d’un grand saint de l’Inde. Cela n’élimine en rien la puissance dans  son ambivalence. Quant à l’exemple de l’amour-passion, sans la haine passionnelle, c’est une illusion romantique soigneusement entretenue. Que l’on puisse encore s’y laisser piéger, contre les démentis constants de la vie, cela ne plus guère s’expliquer que par le conditionnement collectif et la confusion entretenue dans les médias.

La question de fond est donc que « si je choisis une des contradictions, la paix et ne comprend pas son opposé  », je n’enveloppe pas la Vie dans sa totalité et je me trouve en fait paralysé, incapable d’intégrer les contraires que j’ai moi-même engendré. « Choisir un des opposés n’engendre pas l’intégration ». Dans le monde relatif, une chose ne peut exister sans son contraire. Ce type de pensée est une pensée complètement erronée, inadéquate. Penser de cette manière, ce n’est pas penser correctement. Ainsi, « ce n’est pas le choix, mais le fait de penser correctement qui engendre l’intégration. Lorsque l’on pense correctement, les contradictions ne sont pas possibles ; si nous savons penser correctement la contradiction cessera… La contradiction est la nature même du moi, le siège du désir ». Choisir dans ce qui est un pôle duel, sans son pôle complémentaire, c’est être incapable d’accepter ce qui est, c’est refuser la réalité. C’est refuser la Vie.

Les domaines dans lesquels la pensée duelle opère sont légion. Rien ne lui échappe, car elle est liée à une erreur de l’intellect que ne voyons jamais, mais que nous reproduisons à l’envie. La question revient donc : comment penser correctement ? Comment ne pas répliquer l’erreur de l’intellect d’une division excessive ? Le terme « correct » est assez gênant. Il a été oblitéré d’un sens excessivement statique, qui s’allie aisément avec un mode de pensée duel assez rigide. Krishnamurti le souligne immédiatement : « penser correctement et se livrer à une pensée correcte sont deux états différents… Penser juste est une chose à découvrir, tandis que la pensée correcte n’est qu’un conformisme. Penser juste est un processus, tandis qu’une pensée correcte est statique. Penser juste est mouvement continuel, constante découverte ; c’est-à-dire que ce n’est que par une constante lucidité en action (laquelle n’est autre que nos relations humaines) que l’on peut penser juste  ».

 

2) Quand l’esprit commence par un schéma pour se tourner ensuite vers ce qui est, ou bien, quand il préfère partir de l’idéologie, pour rejoindre ensuite les faits, ou encore, quand il cultive le souci de construire en théorie, avant d’observer ce qui est, il pense de manière assez statique. Il perpétue de l’ancien et de sait pas voir de manière neuve. Et comme l’ancien a largement été modélisé par le travail de la pensée duelle, il perpétue en fait des représentations fondées sur un mode de pensée incorrect.
 

Or, à partir du moment où nous pensons de manière contradictoire, nous structurons une réalité contradictoire et une société empêtrée dans ses contradictions. Ce passage de l’individuel au collectif doit être profondément compris. Dans le texte que nous suivions plus haut, l’accent est assez nettement marqué : « vivant en état de contradiction, nous sommes empêtrés dans une société contradictoire qui est le résultat de notre propre projection. Je veux, et je ne veux pas ; je veux vivre en paix ; et en même temps, je vois que je suis antisocial. Nous vivons dans un état de constante contradiction et, en conséquence, il y a désintégration  ». Et la désintégration n’est que le mouvement contraire de l’intégration. La conséquence d’un processus souterrain de division et d’opposition constante engendré par la pensée.
Dans quelle mesure sommes-nous collectivement enrégimentés par la pensée duelle ? N’est-ce pas l’inertie de la conscience collective qui maintient son empire ? Il n’y a, sur cette question, qu’à examiner le statut très étrange de nos valeurs dans la postmodernité. Nous découvrions alors la liste indéfinie de nos oui…mais.

Prenons le plaisir sexuel. Nous aimerions nous servir de la sexualité comme instrument de notre gratification personnelle, mais nous avons aussi appris que c’était mal de le faire. Les religions en occident ont enseigné que l’on ne devait pas tirer plaisir des joies du corps et surtout pas du sexe. Nous abordons toujours la sexualité avec des relents de honte et de culpabilité. Le sexe est adulé, mais c’est aussi lui qui livre le registre de vocabulaire du mépris.
Prenons l’argent. Nous sommes très content de pouvoir en posséder et nous avons le désir d’en acquérir d’avantage, car il est synonyme d’aisance et de prospérité. Mais en même temps l’argent, ce n’est pas bien. Il est entendu que celui qui  aime faire quelque chose ne devrait surtout pas en plus recevoir d’argent. Et à la limite, il est moral de gagner de l’argent en faisant ce que l’on déteste faire. Et nous payons des salaires dérisoires à  des hommes qui consacrent leur vie au bien d’autrui, tout en donnant des fortunes à ceux qui ne se livrent qu’à des exploits médiatiques.
Nous cherchons le pouvoir, ne serait-ce parce que nous apprécions le fait de sentir notre territoire d’influence s’étendre. Nous nous sentons grandis quand en nous se développe un plus grand pouvoir, mais on nous a répété que le pouvoir c’est mal. Le pouvoir corrompt l’homme et un homme qui dispose de beaucoup de pouvoir doit forcément être mauvais.

De manière très ingénue, nous adorons la gloire, sous la forme des vedettes du show business, et nous sommes prêts à leur jeter à la tête des sommes d’argents considérables, mais on nous a dit et répété que la gloire, ce n’est pas bien et qu’il est mal de chercher à glorifier sa propre existence.
Nous attribuons une très haute valeur à la liberté individuelle, c’est elle que nous dressons comme le dernier rempart de notre civilisation contre la barbarie, mais  prenons soin de faire en sorte que nos enfants soient solidement encadrés et conformes à nos modèles sociaux, bien « intégrés ». Nous les maintenons le plus longtemps possible sous notre tutelle physique, religieuse, intellectuelle, économique, idéologique, politique, de manière à ce qu’ils ne fassent pas un mauvais « usage de leur liberté ». En fait la liberté nous fait peur, nous la voyons comme une licence irresponsable qu’il serait dangereux de confier à n’importe qui.

Nous savons bien qu’il est important de nourrir l’amour de soi, que c’est seulement dans la réconciliation avec soi que la vie peut prendre son essor, mais on nous a aussi appris que l’amour de soi, c’est mal, qu’il vaut mieux se soucier d’abord des autres et surtout ne pas s’accorder d’importance. Ce ne serait que complaisance, égocentrisme et narcissisme. Pascal dit dans les Pensées qu’il « ne faut aimer que Dieu et ne haïr que soi  ». La supériorité de la religion chrétienne, dit Pascal, vient de là, de ce qu’elle enseigne la haine de soi. Nous avons honte de ce qui nous procure une gratification personnelle. Si une chose doit être faite, par pur devoir, contre notre propre sensibilité, alors c’est assurément qu’elle est bonne. Aller à l’encontre de soi-même nous permet de mériter le bonheur, comme prix de notre sacrifice, comme prix d’une mortification de l’amour de soi. Ce qui veut dire qu’en fait nous nous servons de la culpabilité pour nous sentir mal, à l’égard de qui nous fait du bien !
 

La liste est ouverte. Nous pourrions la prolonger en évoquant le soin accordé au corps, le désir en général, la connaissance de l’univers et même la relation entre l’homme et l’Absolu. Nous trouverions partout, l’ambivalence de la représentation duelle. Le sexe, l’argent, le pouvoir, la gloire, la liberté, l’amour de soi, le désir, le corps, la sagesse, Dieu sont donc devenus des problèmes. Tous les débats qui mettent en jeu un objet quelconque de désir sont piégés par avance par la pensée duelle. La politique, c’est droite/gauche !  On nous a appris qu’il faut toujours tout trancher : on est pour/contre. Surtout pas d’indécision. Vous devez vous ranger en amis/ennemis, il y a nous/les autres, les proches/les étrangers, le capital/le prolétariat,  etc. C’est-à-dire, qu’il est recommandé de faire abstraction de la complexité en opérant partout une simplification duelle. Ce qui bien sûr alimente les conflits. Mais, intellectuellement, cela fait propre et net de penser de manière tranchée !
Nous sommes incapables d’affirmer la Vie dans son intégralité et de la reconnaître dans toutes ses manifestations, parce que nous n’avons jamais appris à penser autrement que dans la dualité. Nous ne savons pas mettre chaque chose à sa juste place et repenser les contraires dans l’unité des complémentaires.



B. De la dualité à la complexité
 

Nous ne savons pas aborder la complexité autrement que par des simplifications duelles abusives.

1) Revenons sur les Pensées que nous venons de citer. Pascal a une intuition fulgurante de la non-séparation dans la Nature, dont la compréhension est mortelle pour la pensée duelle : « Les parties du monde ont toutes un tel rapport et un tel enchaînement l’une avec l’autre, que je crois impossible de connaître l’une sans l’autre et sans le tout  ». Ce qui veut dire que connaître, c’est toujours relier et non pas séparer, décomposer, opposer, ce qui est le propre de la boucherie de l’intellect ordinaire - comme le dit très bien Amiel dans son Journal -. Distinguer certes, mais pas disjoindre. Une chose n’existe que dans sa relation avec les autres et dans sa configuration dans un tout qui l’englobe. La relation a un sens à la fois statique, ce qui veut dire que toute situation réelle est complexe de fait, et dynamique, ce qui veut dire encore que les processus qui œuvrent dans le réel sont causalement inter-relié.  Cette interrelation n’est pas le fait de l’homme, elle est tissée dans l’intelligibilité même de la Nature, dans son fonctionnement le plus intime. D’où le passage qui suit, quelques lignes plus bas : « Toutes choses étant causée et causantes, aidées et aidantes, médiatement et immédiatement, et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes,  je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties  ».
La conscience d’unité est indispensable dans le domaine de la connaissance. – Sinon la connaissance n’est qu’un savoir sans vie. Elle est aussi d’une exceptionnelle urgence sur le plan de l’action de l’homme dans le monde. Sinon l’action est fragmentaire et n’a pas de portée globale. Si la Nature forme un tout, il n’est pas possible d’isoler quoi que ce soi, il n’y a pas de petite action et aucune action n’est sans conséquence, immédiatement et à long terme. Pascal le dit aussi très bien : « Le moindre mouvement importe à toute la nature ; la mer change pour une pierre. Ainsi, dans la grâce, la moindre action importe par ses suites à tout. Donc tout est important. En chaque action, il faut regarder, outre l’action, notre état présent, passé, futur, et des autres à qui elle importe, et voir les liaisons de toutes ces choses  ».

Nous ferions d’immenses progrès, si nous pouvions immédiatement comprendre qu’il n’y a pas d’existence séparée. Tout est lié dans le champ de la connaissance, comme tout est étroitement lié dans l’existence au sein de la Nature. Or le propre de la pensée duelle, c’est justement de faire obstacle à cette compréhension, d’aller juste en sens inverse, de penser dans la séparation, la disjonction, là les choses ne sont jamais ni séparables, ni disjointes. 


Il y a une relation entre dualité-simplification  et non-dualité-complexité. Ce que nous allons examiner maintenant. L’opération de la pensée duelle consiste à diviser, opposer, fragmenter. Nous appelons pensée fragmentaire ce mode représentation qui, comme le montre David Bohm, sépare ce qui dans le réel est en fait intimement lié et qui aussi par ailleurs, recrée aussi de fausses unités qui n’existent pas dans le réel, mais seulement dans les concepts .



2) Les textes magnifiques de Pascal ci-dessus, sont souvent cités par les auteurs qui militent aujourd’hui pour une réforme de la pensée et le passage à un nouveau paradigme, le paradigme de la pensée complexe, dont Edgar Morin en premier chef. 

Le propos d’Edgar Morin se place d’abord sur le terrain épistémologique. Il  examine le paradigme de la science classique, ses principes d’intelligibilité et ses limites, pour lui opposer un nouveau modèle plus à même de rendre compte du réel que celui de la science classique, le paradigme de la complexité. Nous ne pouvons pas ici entrer dans le détail de cette question. Ce qui réclamerait une autre étude. Il nous suffit d’examiner les principes et de voir si nous pouvons effectivement discerner en eux l’opération propre à la pensée duelle.
 

Partons des analyses conduites dans Science avec conscience . Selon Edgar Morin, la science classique, fondée par les modernes avec Descartes et Galilée, est structurée sur un modèle analytique qui progresse par simplification de son objet et a donc tendance à éliminer l’appréhension de la complexité. La représentation de la science moderne est à la source de toute une série de problèmes que nous rencontrons aujourd’hui. Edgar Morin insiste surtout sur la situation de fragmentation extrême du savoir en une multitude de disciplines compartimentées, qui s’ignorent les unes les autres ; et ne peuvent donc jamais travailler en synergie. D’où l’importance d’un travail transdisciplinaire pour rétablir une pensée globale, là où la représentation est en miette ; là où le savoir devenu tellement spécialisé, qu’il est de plus en plus ésotérique, clôt sur lui-même et incommunicable au profane. D’où la nécessité de surmonter les contradictions que nous ont laissés les représentations fondées sur ce type de pensée, pour  « tenter de concevoir le nœud gordien des profondeurs où tout est indissolublement et indescriptiblement lié  ». Si on reprend les opposions dressées dans Science avec conscience sous la forme d’un tableau, on obtient ceci :


Ancien paradigme
Analytique, simplificateur et réducteur
 

1) Le principe d’universalité , « il n’est de science que du général », règle positiviste par excellence, expulse ce qui est local et singulier.
2) La science classique ne prend pas en compte l’action du Temps et fait très peu de cas de l’historique.
3) Procède essentiellement par l’analyse,  raisonne sur des parties, ou unités élémentaires.
4) Ramène le savoir à ses principes d’ordre, lois, constance et invariance. Disqualifie par avance toute connaissance incapable de se structurer suivant ce modèle
5) « Causalité linéaire, supérieure et extérieure aux objets  »
6) Modèle mathématique qui tend à ériger en explication souveraine la suprématie de l’ordre dans un déterminisme universel.
7) Cherche à  isoler son objet par rapport à son environnement : Physique, biologie de laboratoire.
8) Pratique une disjonction sujet/objet observateur/observé.  La vérification des faits suffit à garantir une absolue objectivité qui exclut le sujet connaissant.
9) Tend donc à éliminer la problématique du sujet dans (et de)  la connaissance scientifique.
10) Réduit la connaissance du réel à l’objectivable, au formalisable et au quantifiable, tend à éliminer par avance la question de l’Être.
11) Considère que l’autonomie n’est pas concevable à l’intérieur des sciences.
12) Suppose la fiabilité absolue de la logique de la dualité, pour recevoir ou non une théorie. Toute contradiction apparaît alors nécessairement comme le signe d’une erreur
13) Soutient penser que dans des idées claires et distinctes, dans le cadre d’un discours monologique censé envelopper et rationaliser le réel.


 

Nouveau paradigme
Systémique, complexe et ouvert

 

Le principe d’universalité reste valide mais insuffisant, il faut prendre en compte ce qui relève du local et du singulier.
Intègre l’irréversibilité du temps et son dynamisme créateur. En biologie, doit le faire en terme d’ontogenèse, de phylogenèse et dans la théorie de l’évolution.
Reconnaît l’impossibilité d’isoler des unités élémentaires à la base de l’univers physique
Reconnaît que la question de l’organisation est incontournable, au niveau biologique, mais aussi sur le plan anthropologique
Adopte une causalité complexe, circulaire, enveloppant rétroaction, synergie, détournement et réorganisation
Considère les phénomènes dans une dialogique :  ordre?désordre interaction?organisation                                                            
Adopte le principe de distinction, mais non de disjonction entre l’objet et son environnement.
Admet que le savoir se structure dans la relation sujet-objet, observateur-observé. Il y a nécessité d’introduire le sujet humain, dans sa culture, son histoire, sa définition anthropologique
Admet la possibilité et la nécessité d’une théorie du sujet
Admet qu’il est nécessaire d’envelopper tous les plans de réalité, et de donner un contenu physique, biologique et anthropologique à la catégorie d’existence
Considère qu’il est possible à partir d’une théorie de l’auto-production de reconnaître scientifiquement la notion d’autonomie.
Admet la limitation de la logique. Reconnaît la limitation interne de toute démonstration formelle. Reconsidère la contradiction pour y voir l’indice d’un domaine plus profond de réalité
Admet qu’il est indispensable de penser de manière dialogique et par macro-concepts, en liant des notions éventuellement antagonistes.


Quelques explications rapide : (1) Réintroduire le singulier et le local, c’est renoncer à la prétention d’un empire totalitaire de l’universel. Le singulier et le local restituent le sens de l’ambiguïté. C’est aussi ce qui permet de recevoir la connaissance de l’histoire, bien qu’elle ne puisse se porter candidate au statut de science universelle . (2) Réintroduire l’action du temps en physique, c’est retrouver la puissance du Devenir  et ne plus se contenter d’opposer le temps subjectif, avec le temps objectif. Ce travail a été mené par Ilya Prigogine en physique . (3) Reconnaître la corrélation infinie des événements et la non-séparation des éléments du réel, c’est dépasser la coupure qu’introduit l’analyse en repensant tout élément dans un tout qui le précède. Le succès immense de la chimie est venu de son modèle fondé sur l’analyse. Aujourd’hui l’écologie et la biologie et la théorie des climats a admis que le Tout doit être envisagé avant ses parties. La physique quantique a très bien compris le sens de la non-séparation des événements dans la Nature. (4) Penser en terme de processus d’organisation et pas seulement en terme d’ordre, est une leçon que la biologie nous a appris, mais son prolongement est nécessaire dans les sciences humaines. (5)  La pensée systémique, issue de la cybernétique, a complètement renouvelé le problème de la causalité et son application a été faite en biologie et dans la théorie des climats . En économie la notion a aussi une grande portée. (6) La physique a appris à réintégrer le désordre et a remis en question le déterminisme au niveau le plus subtil de la matière. (7) La zoologie a remis en cause la prétention à tirer un savoir valide de la seule expérimentation sur l’animal en laboratoire. C’est dans son environnement que le vivant doit être étudié. (8) Fait nouveau dans la physique, la remise en cause de la séparation observateur/observé dans la mécanique quantique. La science n’existe que pour le sujet qui la construit. Il n’existe par d’objectivité absolue . (9) Comte disqualifiait la psychologie. La science classique édifiait un savoir à prétention universelle et qui resterait identique, même si n’y avait pas d’être humain. Nous savons que ce point de vue est complètement erroné. (10) Depuis Descartes, la dissociation de la subjectivité (située dans la substance pensante, mais chassée hors de la science) et de l’objectivité (située dans la substance étendue, mais expulsée de la connaissance de soi) est un présupposé admis de la démarche scientifique. Mais l’objectivité n’a aucun sens, indépendamment du sujet. La subjectivité est le fondement de tout savoir. Le quantitatif n’a aucun sens, coupé du qualitatif. La vie est subjectivité . (11) Le concept d’autonomie n’a quasiment aucun statut dans la biologie mécaniste. Il a dû trouver refuge en morale. Mais nous savons aujourd’hui que l’auto-référence est au fondement même des processus vivants. Il permet d’intégrer tout les processus vivants . (12) E. Morin cite Niels Bohr : « Une vérité superficielle est un énoncé dont l’opposé est faux ; une vérité profonde est un énoncé dont l’opposé est aussi une vérité profonde  ». La logique de la dualité classique ne caractérise qu’un mode de pensée élémentaire, le passage à l’appréhension du complexe suppose une réforme de la logique. Gödel en mathématique a mis en évidence les limites de la démonstration magique au sein de systèmes formels complexe . (13) Le projet cartésien a eu le succès qu’il méritait, mais nous savons aujourd’hui qu’il est nécessaire de renouveler notre modèle de la science , de fonder une nouvelle manière de penser fondée non sur l’analyse d’un objet, mais sur son interaction avec d’autres objets, dans des système de plus en plus vastes.

La différence de point de vue entre l’ancien paradigme et le nouveau est très étroitement liée à la nécessité de dépasser la pensée dualisante. Il est incontestable que l’orientation cosmoderne de la pensée enveloppe une conscience des limites de la dualité bien plus élevée que celle de la pensée moderne. Nous voyons donc que la question de la dualité n’est pas une question annexe, ni anecdotique, et encore moins une sorte d’effet de mode de la pensée orientale. C’est un enjeu constant dans l’histoire de la pensée. Comme l’a très bien vu Hans Jonas, le mode de pensée du dualisme est un trait décisif de l’histoire mentale de l’espèce humaine . Nous ne comprendrons jamais rien à la pensée et à la structure du mental, tant que nous n’aurons pas élucidé le sens de la dualité. Mais la science le peut-elle ? La science n’est-elle pas faite par nature pour demeurer dans un mode de représentation duel ?

 

C. Le choc métaphysique de la non-dualité

Hans Jonas dans Le Phénomène de la Vie, dit que « si nous identifions le domaine de la nécessité à la caverne de Platon, alors la théorie scientifique ne conduit pas hors de la caverne ; et son application pratique n’est pas non plus un retour à la caverne : elle ne l’a tout bonnement jamais quittée. Elle est entièrement de la caverne et donc n’est pas du tout de la théorie au sens platonicien  ».  Nous pouvons faire exactement la même remarque au sujet de la dualité. Tant que la représentation duelle n’est pas mise en cause, comprise et dépassée, on ne peut pas en sortir, on est tout simplement dedans. Que l’on soit femme de ménage, travailleur à la chaîne, ministre, physicien, économiste, philosophe, prêtre, acteur de cinéma ou chanteur de charme etc.
 

Le monde de la caverne est le monde de la dualité. La demeure de la caverne, celle du monde sensible, est celle du relatif, et dans le relatif, aucun concept ne saurait subsister sans son contraire. La plus grande partie de notre expérience quotidienne, se situe dans le domaine relatif des relations élémentaires. Notre expérience empirique se situe dans le champ du relatif, dans le champ de la dualité tracé dans les sillons de l’attitude naturelle dans la vigilance. Maintenant, à supposer que brusquement nous sortions de la dualité, que nous entrions dans un éveil plus élevé.  Nous aurions dès lors un nouveau point de vue. La pensée ferait un saut d’intelligibilité. Or, pour parler comme Platon, dans le monde intelligible, dans le domaine des relations sublimes, dans l’absolu, rien de ce qui existe n’a de contraire. Si l’appréhension de la dualité est coextensive à  la pensée dans vigilance, il est indispensable, pour entrer dans le champ des relations sublimes, que l’intelligence transcende son fonctionnement ordinaire. L’accès à la non-dualité est une sorte de saut quantique de la pensée et  un changement radical de perspective.
 

Est-il possible de frayer un passage de l’appréhension de la dualité à l’appréhension de la non-dualité ? Un familier de la pensée antique ferait immédiatement un rapprochement, entre ce que nous venons d’aborder et la transition qui s’effectue de Platon à Plotin.
 

Toute philosophie est ancrée dans une expérience décisive qu’elle ne cesse de commenter et à laquelle elle ne cesse de revenir. Or, justement Plotin se réfère à une expérience d’unité qu’il aurait connu à plusieurs reprises. C’est la réminiscence de la conscience d’unité qui irrigue toute sa pensée dans les Ennéades.

L’appréhension de la dualité, comme l’éclatement d’une diversité irréductible est la  perception commune de l’attitude naturelle. Celle de la pensée discursive dans laquelle l’opposition sujet/objet est durcie dans des oppositions inconciliables. Pour Plotin, il s’agit là de la forme la plus faible de la contemplation. Celle qui tient à l’appréhension de la matière détachée de tout principe d’unification. Le discours d’une âme égarée dans la diversité. Que la contemplation s’intériorise d’avantage et elle pénètrera dans le royaume de l’intelligence où l’unité se fera de plus en plus vivante, où la dualité prendra fin. Le chemin de la non-dualité est un chemin de connaissance de soi et c’est aussi un pas vers l’intérieur. C’est aussi la conversion intérieure de l’âme. Telle est l’aube de la sagesse. Dans l’âme sage « les objets connus en viennent à être identique au sujet qui connaît, parce qu’elle aspire à l’intelligence. Dans l’intelligence, sujet et objet sont évidement un, non plus par une intime union comme dans la meilleure des âmes, mais d’une unité substantielle ; être et penser, c’est la même chose, le sujet n’y est plus différent de l’objet  ». L’âme en chemin, l’âme qui cherche,  est engagée dans la contemplation. Elle cherche depuis toujours cette unité substantielle du premier Principe qui est au fondement de l’intelligence elle-même et « ce principe n’est donc pas l’intelligence, et il échappe à la dualité  ». Que le voile de la dualité se déchire, que l’unité sous-jacente soit révélée et la perception de la diversité sera radicalement transformée, car la diversité sera vue dans l’unité du Principe qui soutient toute manifestation et non pas séparée. « Le Principe, c’est tout en Un, tout y est à la fois, chaque partie y est l’ensemble, mais de ce principe, qui reste immobile en lui-même, procèdent les êtres particuliers, comme d’une racine, qui reste fixée en elle-même, provient la plante : c’est une floraison multiple où la division des êtres est chose faite, mais où chacun porte l’image du principe . »

Disons le carrément, une telle vision relève directement de l’expérience spirituelle, de la mystique
. La modernité a fait l’amalgame entre la mystique et la religion a souvent associé la mystique avec une forme de confusion. C’est pourquoi elle a été, dans les temps modernes, regardée avec suspicion. La pierre de touche sur laquelle est fondée la vérité de la représentation, est, de l’aveu même de Kant, l’expérience empirique. Voyez ce que Kant écrit dans La Critique de la raison pure à ce sujet. L’expérience empirique est dominée par la dualité. Transcender la dualité signifie donc transcender l’expérience empirique. Dans la mesure où la spéculation elle-même se maintient dans les limites de l’expérience empirique, elle n’a aucune chance de pouvoir parler de ce qui pour elle est tout simplement non-perceptible. Elle peut tout juste jouer avec des concepts. Kant a donc beau jeu de se moquer de Platon et de sa colombe légère ! Il s’est interdit par avance toute intuition plus élevée. Depuis l’aube de l’humanité, de l’antique Rig Veda, jusqu’à la spiritualité contemporaine, toute la mystique fait référence non pas à l’expérience empirique, mais à l’expérience spirituelle, ce qui invariablement conduit à un dépassement de la dualité. 


La trace de la non-dualité est partout présente dans l’itinéraire de la Pensée. En Orient bien sûr, mais en Occident aussi. Relisez Héraclite : « l’Un, la sagesse unique, refuse et accepte d’être appelée du nom de Zeus  ». Qualifier l’un serait le réduire à un prototype humain. Ce qui serait un péril religieux. Mais repousser l’Un serait l’éloigner excessivement de notre pensée, or nous ne pouvons penser sérieusement que par rapport à lui. « La sagesse consiste en une seule chose, à connaître la pensée qui gouverne tout et partout  ». Et Cela ne répond plus aux qualifications duelle de la pensée ordinaire, de cette pensée qui est prompte à raisonner en bien/mal, noir/blanc etc. Ce qui est, est toute chose et enveloppe tous les contraires. « Dieu est jour et nuit, hiver et été, surabondance et famine. Mais il prend des formes variées, tout de même que le feu quand il est mélangé d’aromates et qu’il est nommé suivant le parfum de chacun d’eux  ». Évidemment, ce n’est plus d’un dieu moral dont il est question ici, mais d’un Principe cosmique qui enveloppe toute à la fois création-conservation-destruction. C’est ce seul aspect que les commentateurs retiennent souvent à travers le fragment : « Il faut savoir que la guerre est commune, la justice discorde, que tout se fait et se détruit par la discorde  ». Ce qui mutile évidemment l’intuition d’Héraclite qui a en vue un principe d’intelligibilité supérieur au processus de la destruction et qui l’enveloppe. Y compris dans les affaires humaines. « La Loi, c’est encore d’obéir à la volonté de l’Un  ».

Les présocratiques ont de même très bien compris que l’appréhension de l’unité au sein de l’Être n’est possible que lorsque la perception du temps psychologique est abolie. Parménide écrit « l’Être est incréé, impérissable, car seul il est complet, immobile et éternel. On ne peut dire qu’il a été ou qu’il sera, puisqu’il est à la fois tout entier dans l’instant présent, un, continu  ». Ce sur quoi Plotin revient très souvent. L’appréhension de l’unité n’est possible que si l’intelligence peut mettre entre parenthèses la division des dimensions temporelles. L’Être « possède en entier sa propre Vie, sans y rien ajouter dans le passé, ni dans le présent, ni dans l’avenir  ». Et en conséquence, « l’éternité est la vie infinie ; ce qui veut dire qu’elle est une vie totale et qu’elle ne perd rien d’elle-même, puisqu’elle n’a ni passé, ni avenir, sans quoi elle ne serait pas totale  ».

La Vie infinie est un Soi qui perpétuellement cohère avec Soi, et c’est précisément cette enstase qui est désigné dans les traditions spirituelles par le terme l’Un. De l’Un qui se tient perpétuellement près de soi procède toutes choses y compris la pensée. Plotin de cache pas que la pensée ne saurait l’atteindre. Elle doit rester sur le seuil et c’est dans le silence que l’éblouissement de l’unité peut lui être donné. La contemplation de la pensée peut remonter la procession de la Manifestation vers sa source, mais à terme, il y a un saut, un saut qui n’est pas de l’initiative de la pensée. L’unité n’apparaît que lorsque le mental perd la tête ! Le paradoxe est ici total. La pensée ne peut saisir l’unité et ne peut l’enfermer et cependant il est possible d’en faire l’expérience. Il y a bien un embrasement soudain de l’unité, une expérience et même une expérience verticale. Mais elle se situe aux frontières du dicible. Ce n’est pas vraiment une expérience, car toute expérience se situe dans la dualité sujet/objet. Quand le sujet pur seul demeure il ne saurait y avoir d’expérience au sens ordinaire du terme. Ce qui veut dire aussi que parvenu à ce point le sens de l’Identité n’a plus rien d’individuel. C’est plutôt un sentiment immanent à la pure conscience du Soi. 


Quelques mots de Nisargadata Maharaj : « L’état d’identité est inhérent à la réalité et il ne s’efface jamais. Mais l’identité n’est ni la personnalité impermanente (vyakti), ni l’individualité liée au karma (vyakta). C’est ce qui reste quand toute auto-identification est abandonnée parce que perçue comme fausse – la pure Conscience, la sensation d’être tout ce qui est ou pourrait être. La conscience est pure au début, et pure à la fin ; dans l’intervalle, elle est contaminée par l’imagination qui est la source de la création. A tout instant, la conscience demeure la même ; la connaître telle qu’elle est, identique à elle-même qu’elle soit pure, ou voilée, c’est la réalisation et la paix intemporelle  ».

Comme la représentation de la dualité surgit au sein de la vigilance, sous la forme de l’opposition sujet/objet, il faut s’attendre à ce que la réalisation de la non-dualité vienne redresser la vigilance elle-même. Et les textes du Vedânta sont tout à fait clairs sur ce point. Abruptement, Maharaj dit : « 

Quand le mental est calme, absolument silencieux, l’état de veille n’existe plus  ». Ce qui veut dire n’existe plus sous sa forme habituelle de vigilance marquée par la séparation et la dualité. Le jnani qui est établi dans cet état est en conscience d’unité. Il parle à partir de cet état. Sa vision est une vision de l’unité. Cependant les mots ne sont pas la chose et la chose ne tient jamais dans les mots. 

C’est pourquoi la description n’est jamais exacte et il est de bonne guerre d’apprendre à casser les concepts sitôt formulés. La vision de l’unité transcende tous les concepts, y compris le concept de vision d’unité. C’est ce qui est souvent très déroutant dans certains textes contemporains.

Si nous voulons bien entendre l’appel qui résonne dans les textes fondamentaux de la spiritualité vivante, nous devons prendre en compte la source à partir duquel ils émergent. Alors nous pourrons comprendre toute l’importance de la non-dualité, sans laquelle aucun de ces textes n’a de signification

La dualité est présente dans le mouvement discursif de la pensée. Elle structure de part en part notre représentation commune. Elle n’est pas une formation à part, qui ne serait en œuvre que dans la théorie, la spéculation ou le savoir. Nous pensons dans la dualité. La plupart de nos problèmes sont intimement liés au trafic de la dualité. Le mental est ainsi fait qu’il est capable de justifier une chose et aussi son contraire. 


Ce qui doit nécessairement nous aider à prendre conscience de ses limites. Et à chercher à les dépasser. La pensée complexe propose une dynamique d’intégration qui répond au besoin de dépasser la dualité commune. Elle présente pour la première fois une alternative pertinente à la logique classique fondée sur la dualité. 


Il reste cependant que le fond  du problème est métaphysique et non pas logique. L’Être semble jouer dans la dualité le jeu même de la Manifestation où celui qui joue se perd dans son jeu et se retrouve. En langage plotinien, il faudrait presque dire que l’âme fait l’expérience d’elle-même à travers le jeu de la dualité. Avec un peu d’audace métaphysique, nous dirions que l’Un s’expérimente lui-même dans la diversité dans le jeu de l’âme avec elle-même au sein de la dualité. Même si la dualité ne donne aucune réalité à son objet, il reste qu’elle rend pourtant possible une expérience et que c’est peut être justement cette expérience que nous appelons la Vie.

Serge Carfantan


samedi 20 septembre 2008

"ESSAI D'EXPLORATION DE L'INCONSCIENT"


"Essai d'exploration de l'inconscient"
de Carl Gustav JUNG


Courte biographie de Carl Gustav JUNG

C. G. Jung est né en 1875 en Suisse, à Kesswil. Dans sa famille, il y a toujours eu des intellectuels et des libéraux ; de plus, son père étant pasteur, cela a sans doute exercé une influence sur lui.

Il commença à faire des études de médecine, à Bâle et s'orienta vers la psychiatrie. Tout naturellement il se tourna vers l'enseignement, mais dû arrêter pour se consacrer entièrement à ses patients et à ses recherches psychologiques. Il était si sollicité que tout le monde venait lui demander conseil, et il créa en 1948 un institut à Zürick sur l'analyse jungienne. Mais on ne peut oublier son maître premier que fut Sigmund Freud, car c'est lui qui a commencé à s'intéresser aux rêves. Mais une scission les sépara car Freud abaissa la fonction du rêve à de simples désirs et renia complètement l'inconscient.

Toute sa vie, Jung fut visité comme un sage, jusqu'en 1961, date de sa mort. Peu de temps avant sa mort, Jung fit un rêve comme quoi il devait faire part de ses recherches à tout le monde, et non plus aux seuls initiés. C'est pourquoi il a écrit le livre "Essai d'exploration de l'inconscient".

Résumé du livre "Essai d'exploration de l'inconscient"

Au début, Jung explique les bases de sa pensée : la différence entre signe et symbole, l'existence non seulement de la conscience mais aussi d'une psyché inconsciente,... Ceci forme en fait les hypothèses de départ de Jung, démontrées surtout par les observations des êtres primitifs. Là, il explique également pourquoi la théorie de Freud ne peut être convaincante et pourquoi il voit dans les rêves "une importance qui leur est propre", et un accès facile à l'inconscient. Ensuite, par de nombreux exemples, Jung montre la mémoire de l'homme divisée par une partie consciente (souvenir toujours accessible) et par une partie inconsciente (souvenir caché). Mais les rêves ne peuvent entièrement être expliqués grâce à cette fonction. La force psychique et le sens inconscient, appelés "participation mystique" peuvent remédier à ce manque. Or, on a perdu ce que les primitifs ont de plus visible : le caractère inconscient. Mais on ne veut pas croire que le rêve est le transport, par des symboles, de l'inconscient. Jung met en garde l'analyse des rêves : on doit prendre en compte la personnalité de l'analyste et celle du rêveur. Ainsi, toute analyse doit garder sa propre identité et l'analyste doit la considérer comme une expérience nouvelle.

Par l'étude des symboles dans le rêve, on aboutit à ce que Jung appelle "l'archétype" : un symbole que l'on trouve dans toutes les races humaines de toutes les régions, qui représente "une tendance instinctive". C'est comme un instinct commun à la race humaine, qui se perpétue dans le temps et l'espace. Pour analyser un rêve, il est indispensable de comprendre la dissociation, dans l'homme dit "civilisé", du conscient et de l'inconscient : les hommes cherchent à tout comprendre avec leur intellect et leur inconscient contrebalance cet effet dans les rêves. Mais, pour ceux qui croient à une religion, il faut que l'analyste se réfère à celle-ci, avec leurs propres symboles.

Pour finir, Jung explique ce qui détruit le monde moderne (en 1960 mais aussi de nos jours...) : la trop grande importance de la conscience. En effet, on ne peut assumer notre pauvre condition humaine sans faire appel à quelque chose d'irrationnel et à quelque chose qui nous surpasse. On a besoin de croire à une religion, où l'inconscient pourrait retrouver sa place dans la vie des hommes. L'homme doit en fait vivre en équilibre avec ce qu'il a de plus profond, ancré en lui.

Thème :
" le rêve et l'inconscient et leurs indispensables présences dans la vie des hommes"

Introduction

Depuis tous temps, le rêve existe mais on ne le considérait qu'en tant que chimère incohérente sans grandes prétentions. Or la croissance de la technologie et les progrès techniques effectués ont incité à étudier ce mystère, qui pourtant agit sur chaque homme.

Avant les débuts tâtonnant de la science, il y eut Freud qui s'aventura le premier (en 1899) à donner une thèse sur le rêve et l'inconscient. Ensuite Jung, par une approche plus sage et plus poussée proposa la sienne. Il expliqua les problèmes psychologiques des hommes modernes (en 1960) par le manque de l'inconscient dans leur vie.

En fait, il est vrai, les hommes (les occidentaux) ont abandonnés progressivement les anciennes religions. Mais, durant les 20 dernières année, l'espoir de Jung s'est concrétisé : on trouve un retour aux forces primitives et mystiques.

Partie 1 : Le rêve et l'inconscient

Les rêves commencent à être étudiés scientifiquement et sérieusement : après la seconde guerre mondiale, les expériences faites par les plus grands chercheurs se sont succédées. Ainsi on a pu démontrer que le dormeur pouvait avoir une forte activité cérébrale durant certaines phases du sommeil, alors qu'il avait une activité physique nulle. Ces phases ont été appelées "périodes de sommeil paradoxal en vertu de ses propriétés pour le moins étranges : contrairement au reste de la nuit, on peut voir une excitation de l'électroencéphalogramme placée sur la tête du dormeur ; il y a aussi une expression anglaise pour qualifier cette phase : R.E.M. (Rapid Eyes Movements) car, le corps étant totalement immobilte, les yeux se déplacent très rapidement de droite à gauche.

Le rêve, en fait, se situe dans cette phase. Depuis cette découverte, on essaye de se remémorer les rêves par des méthodes divers et variées. Par exemple, près de la Silicon Valley, en Californie, des chercheurs créent des lunettes spéciales pour "rêver consciemment". Mais de toutes façons, on n'arrive pas encore à élucider la question : "pourquoi rêve-t-on ?"

C'est pourquoi on va se tourner vers les psychanalystes. L'interprétation des rêves par Freud a eu une extraordinaire popularité parce que celui-ci a été le pionnier dans cette voie (au début de ce siècle). Il a ainsi remis au devant de la scène les rêves qui étaient ignorés, car apparemment incompréhensibles et irrationnels. Et justement, Freud fait intervenir l'inconscient pour comprendre les rêves. Il soutient que l'inconscient est le siège des désirs refoulés par la conscience et que "le désir représenté dans le rêve est nécessairement infantile". Pour expliquer l'aspect désordonné et décousu du rêve, Freud croit à une censure du conscient qui force l'inconscient à choisir une apparence moins rationnelle pour son rêve. Dans une première approche, il veut établir des règles d'interprétation des rêves pour essayer de guérir ses malades, tels les névrosés. Ensuite, espère-t-il, on pourra peut-être expliquer mieux le psychisme de l'homme et l'inconscient grâce à ses études.

Globalement, l'interprétation des rêves de Freud se base sur une hypothèse : le rêve doit être considéré comme un ensemble d'éléments indépendants. Ces éléments peuvent ainsi être étudiés séparément et, grâce à des associations, on arrive à décrire les désirs cachés du rêveur.

Mais cette thèse du rêve, bien qu'acceptée au début, n'est plus très convaincante. En effet, restreindre les rêves à de simples désirs inavoués est assez coupable. Jung, ancien disciple de Freud, démontre bien, dans le livre "Essai d'exploration de l'inconscient" ce qui ne peut aller dans le raisonnement de Freud ; et, par des exemples, on voit que de n'importe quelle image, on peut arriver à un désir (par des associations infiniment lointaines).

Les nombreux malades de Jung, considérés comme des cas distincts à part entière, lui ont permis de croire l'inconscient comme une force puissante, complexe et positive. Le rêve, par quoi s'exprime l'inconscient, peut symboliser les défauts du rêveur qui n'en a pas pris conscience ou sert à contrebalancer les défauts et qualités de la vie consciente.

Pour Jung, donc, le conscient et l'inconscient sont deux forces internes de l'homme qui doivent se respecter pour une vie équilibrée : les primitifs vivaient heureux, où l'inconscient trouvait sa place dans les croyances irrationnelles, mais l'homme d'aujourd'hui se plaint de névroses et ne se sent pas bien dans sa peau. Les suicides toujours plus nombreux en cette fin de siècle et l'homme toujours en quête d'évasion prouvent que l'homme manque d'une moitié indispensable : le monde rationnel, tel un tyran, a pris le pouvoir dans la vie des hommes. Et Jung, pour sa conclusion de son dernier livre, veut ainsi montrer aux hommes de quoi ils souffrent. De cela découle une question : "comment résoudre ce problème et rétablir l'équilibre perdu?"

Partie 2 : L'indispensable rôle du rêve et de l'inconscient dans la vie des hommes

Jung propose une solution : il faut que les religions renaissent et que l'on ait la foi en ses croyances. Il accuse celles-ci de n'avoir pas accepté le progrès scientifique : il est dangereux de dresser une barrière entre le conscient et l'inconscient, ces deux puissances doivent régner ensemble.

On a alors oublié les religions et l'espoir d'une vie irrationnelle. Ce qui n'était pas prouvé scientifiquement était exclu irrémédiablement. Surtout en France, on put constater cet esprit cartésien (Jung en fait aussi l'allusion).

Les religions sonr restées fermées aux critiques scientifiques et ont renié cet aspect aujourd'hui indéniable : l'église catholique n'a accepté que des fidèles et ceux qui cherchaient une religion en accord avec les découvertes se sont vu refuser le dialogue.

Pourtant on a besoin d'un espoir qui ne s'éteint jamais car, quand dans la vie on est au plus bas, on peut renaître, en croyant. Cela peut nous paraître peu admissible, voire inacceptable de montrer que l'on n'est pas maître de soi et que l'on a recours, nous, hommes "civilisés", à une force divine comme, jadis, les hommes "primitifs". De ce désir de contrôler le monde naquit des troubles que l'on ne ressent que maintenant.

Les primitifs voyaient leurs dieux dans les puissances de la nature. Ils en avaient peur et la respectaient. A cause de notre désir de devenir, en fait, des dieux (tout contrôler et posséder la Vérité), on a cru pouvoir se passer de la nature et on a utilisé ses ressources sans la respecter. Mais, quand on a vu qu'on avait encore besoin de la nature, on l'a regardée différemment. La déforestation en est l'exemple le plus frappant. Les arbres que l'on abat et que l'on remplace par des immeubles sont une preuve caricaturale de l'obsession rationnelle de l'argent. Or, l'oxygène produit par les arbres est indispensable pour la vie sur Terre.

Cet exemple et tous les autres font prendre conscience de la nécessité de "préserver l'environnement" (comme disent les écologistes). Mais il faut considérer ce retour à la nature avec beaucoup plus d'implications. Ainsi, non seulement on cherche à habiter à la campagne pour y savourer en tranquillité la vie, mais on en vient à reconsidérer des phénomènes inexpliqués scientifiquement, que des primitifs auraient, tout de suite, déifiés. Cela revient en fait à "croire" à quelque chose que l'on ne connaît pas encore, à quelque chose qui serait une partie irrationnelle de l'homme. Les religions "New-Age" se fondent sur ces questions qui n'ont pas eu de réponse par la science. Elle se basent sur toutes les religions du monde, aussi bien occidentales qu'orientales. Elles cherchent en fait les sources communes des religions (contrairement aux sectes, elles demeurent objectives ou, tout au moins, restent ouvertes).

Un autre fait marquant est que, récemment, une émission a vu le jour sur la télévision : "Mystères". Etrangement, malgré l'esprit cartésien des Français, cette émission n'a cessé de progresser : il y a un peu plus d'un mois, le présentateur a déclaré qu'il y avait de plus en plus de spectateurs. Il invoquait comme raison, le besoin de croire à quelque chose d'autre que scientifique. Les faits paranormaux, les expériences du magnétisme et le pouvoir des médiums sont en réalité des croyances cachées mais non moins présentes. Et ce n'est pas un hasard si des médiums qui ne sont plus apparemment des charlatans, font leur apparition dans des émissions de vulgarisation et liées au spectacles...

Conclusion

Avec la curiosité des chercheurs et des gens, on est sur les traces de l'inconscient. Jung fut un précurseur et ses idées se vérifient même encore aujourd'hui. Ainsi, on n'a pas oublié que les génies (scientifiques et artistiques) trouvaient des solutions en rêvant : l'inconscient peut apporter à l'homme beaucoup de choses.

Bien sûr, il ne faudrait pas devenir "primitif", mais on peut essayer de rétablir l'équilibre de notre conscient et de notre inconscient. Et peut-être trouverons-nous la "sagesse", pour nous empêcher de nous corrompre en cherchant avidement la Vérité?



vendredi 19 septembre 2008

"ERMITE EN HIMALAYA"


Le mot moine vient du grec monos qui signifie seul. Par ailleurs l'absolu étant unique peut être évoqué par le terme Seul. A priori, la solitude correspond à une période intensive de l'itinéraire spirituel permettant d'atteindre un certain niveau.

L'écoute du silence

Il y a un certain nombre de gens qui rêvent de pouvoir passer des périodes en solitude. Dans mon cas, je le réalise. On reproche souvent aux ermites de fuir le monde et sa lutte pour la vie. Certes cela peut parfois être vrai, les misanthropes existent, mais ce genre d'apprenti solitaire ne restent en général pas longtemps dans ce type de vie. Le souvenir de leur échec dans le monde devient très intense et ils ne tiennent pas le choc de se retrouver à temps plein en face des côtés sombres d'eux-mêmes. Ceux qui prétendent que la vie de solitaire est une solution de facilité prouvent simplement par là qu'ils ne s'y sont pas essayés sérieusement. Il faut comprendre aussi que dans le monde la plupart des gens se fuient eux-mêmes, qui dans les plaisirs de la consommation, qui dans le travail ou le désir, voir la névrose de reconnaissance sociale, ou certains dans des actions qui paraissent assez nobles de l'extérieur mais qu'ils utilisent comme prétexte pour ne pas faire face à eux-mêmes. Il y a une très belle ode mystique de Rumi dont le refrain dit simplement « Arrête-toi » C'est ce que fait l'ermite. Il sait se déposer, comme on dit dans certaines provinces pour se reposer.

Dans la vie habituelle, on est entouré de toutes sortes de supports qui tiennent la place symbolique de la mère nourricière. Le mari est ainsi entouré de sa femme qui elle-même est également soutenue financièrement par son époux. Les religieux ont tendance à se regrouper dans une institution-mère, qui les nourrit et protège. L'ermite lui mange seul ce qu'il a préparé de ses propres mains. Il n'a pas l'illusion pour cela d'être complet, indépendant du reste du monde, car il sait bien qu'il n'a pas cultivé tout ce qu'il mange et que peut-être il vit de donations de fidèles. Mais il a quand même plus d'indépendance que beaucoup d'autres.

S'il monte en solitude, ce n'est pas par orgueil, il ne fait que se laisser-aller à une aspiration forte comme une inspiration, un courant d'air ascendant qui le porte comme l'oiseau sur les flancs d'une crête. A partir d'un certain niveau d'intensité intérieure, il s'aperçoit qu'il ne peut être au four et au moulin à la fois, qu'il a chaque pied dans deux barques qui s'écartent, et il décide de s'asseoir dans celle de la solitude pour la grande traversée.

On parle traditionnellement de passer quarante jours, c'est-à-dire de nombreux jours dans le désert. Il s'agit aussi d'une mise en quarantaine, on veut être sûr qu'on n'a pas développé certaines maladies de l'âme. Et le fait de rester quarante jours à s'observer, nous permet de vérifier ce que nous avons ou non comme maladie en germe au fond de nous. Dans l'Eglise grecque vers le Vème siècle, on avait tellement confiance dans les moines et ermites que c'était parmi eux qu'on recrutait les évêques. C'est une tradition qui a tendance à perdurer dans l'Eglise copte.


L'Himalaya, une source de vie spirituelle

Pourquoi être ermite en Himalaya particulièrement ? Il y a en fait deux sources principales pour les religions du monde : Jérusalem et l'Himalaya. De nos jours Jérusalem n'est pas si paisible, les tensions là-bas occupent une bonne place des nouvelles internationales. Pour les non-dualistes, les vedantins, les bouddhistes, l'Himalaya est la source. L'Himalaya tibétain fait moins parler de lui que Jérusalem, mais a en fait de sérieux problèmes avec l'occupation chinoise qui ne seront vraiment résolus que quand il retrouvera son indépendance complète. L'Himalaya népalais et indien constitue une vie traditionnelle, mais parler de vie traditionnelle ne veut pas dire que tous les sâdhus de l'Himalaya soient des saints, loin s'en faut. Comme les paysans locaux, la plupart fument la marijuana, le chanvre poussant un peu partout. Comme eux également ils sont souvent illettrés et ne connaissent guère leur propre écriture sacrée. Certains sont mêmes délinquants ou d'ex-agitateurs politiques qui se cachent de la police sous un habit de sâdhus dans des régions reculées de montagne. Mais de même que les mauvaises herbes servent de terreau aux fleurs et font ressortir leur beauté, de même cette masse de sâdhus en eux-mêmes peu recommandables créent une toile de fond de vie solitaire d'où se détachent quelques vrais saints. Des fenêtres de mon ermitage, je vois des pics à 6000 ou 7000 mètres qui sont à la frontière du Tibet. Juste derrière, on sent sa présence formidable. Même si, comme nous l'avons dit, le bouddhisme en tant que tel a de nombreux ennuis là-bas à cause des persécutions chinoises, il semble qu'il y ait des ermites discrets qui y poursuivent assez bien leur tradition. J'avais rencontré il y a deux ans à Svayambunath un tibétologue Américain qui revenait d'un voyage en équipe à la rencontre des ermites du Tibet. Il m'a dit avoir eu nombre d'entretiens passionnants. Le Bouddha et Shankaracharya, chacun à leur manière, ont prêché une voie de la Connaissance. Le Bouddha est né à Lumbini, juste au pied de l'Himalaya, et Shankaracharya est mort près d'une source du Gange et de la frontière du Tibet à Jyosimath, nom qui signifie « le monastère de lumière ».

Si l'on monte en solitude, comme on dit au Moyen-Âge, c'est qu'on recherche une intensification de la vie spirituelle. Le rayon de la lumière intérieure, de dispersé et déphasé qu'il était, devient cohérent comme un rayon laser et il acquiert à ce moment-là-là l'énergie nécessaire pour être utilisé dans la microchirurgie des zones reculées du psychisme. L'ermite n'est pas porté à l'introversion, mais à l'introspection.

Jacques Vigne, Psychiatre
vit en Inde depuis 16 ans dans un ermitage au pied de l'Himalaya